L’évolution de la société s’accompagne parfois des déséquilibres les plus insoupçonnés. L’explosion du commerce en ligne, l’usage répété de la voiture, la volonté d’extension des villes sont tant d’évolutions qui sont en train de faire fuir les commerces des cœurs de ville. Face à cette désertification, comment les centres-ville des moyennes agglomérations peuvent ils réagir ?
Diminution du commerce en ville et de la population
Les villes touchées sont principalement les villes moyennes : Mulhouse, Saint Brieuc, Brest… la liste est longue et fait face aux mêmes constats. Les grandes villes semblent moins concernées, l’effet « touristique » dopant la vitalité commerçante des cœurs de ville. Le taux d’occupation des centres villes de taille moyenne en commerces diminue. Le taux de vacance des commerces dans ces villes passe de 6,1% en 2001 à 10,4% en 2015(¹), et c’est bien souvent accompagné d’une diminution de la population métropolitaine.
A l’inverse, les zones commerciales en périphérie d’agglomération augmentent de manière significative, se rénovent et se renouvellent ; accroissant tant les disparités entre centre ville et périphérie que les disparités dans les secteurs d’activité.
La difficile riposte des centre-villes face aux alternatives
Acheter en ligne un livre ou un DVD, benchmarker facilement les prix pratiqués sur des comparateurs en ligne, accéder depuis chez soi à des rayons numériques… telle est l’évolution des modes d’achat des français, massivement tournés vers leur ordinateur plutôt que vers leur voisin commerçant. Le commerce électronique a connu un véritable boum en une seule décennie : 64,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour le total des commerçants électroniques en 2014, contre 8,4 milliards en 2005(²).
L’usage du smartphone, l’hyper-connexion de la jeunesse tendent à déshumaniser tant les contacts humains que les pratiques commerciales. Il est difficile pour les boutiques urbaines de riposter, car totalement elles sont absentes du champ de vision quotidien des potentiels consommateurs.
Le souhait d’être visible quotidiennement dans le paysage du consommateur est flagrant tant par la publicité que par l’implantation géographique des commerces. Cela se constate notamment lorsque l’on voit des boulangeries fleurir aux abords de grands axes routiers hors des quartiers de vie, voulant permettre aux usagers quotidiens de la voiture d’être au plus proche de leurs habitudes et ainsi d’être visible sur le chemin du travail ou de l’école.
Les grandes surfaces l’ont bien compris aussi : être accessible est inévitablement un enjeu majeur, et se positionner aux carrefours stratégiques des voies de circulation l’est tout autant. Il s’agit alors d’avoir un parking de plus en plus grand et des galeries commerçantes pour ferrer son client en lui assurant un accès facile, un stationnement immédiat et gratuit et une diversité d’offre commerciales à proximité.
L’usage de la voiture et le commerce sur Internet ne sont pas les seuls facteurs de la diminution du commerce de centre-ville.
Un facteur moins sociétal mais plus politique semble en effet faire partie des causes de cette désertification. L’attrait des zones commerciales est facilité par l’habitude des consommateurs de les traverser, de les fréquenter tant pour des achats quotidiens que pour les loisirs. Il est de plus en plus fréquent de voir des activités culturelles naître en pleine zone commerciale : cinéma, bowling, patinoire… Certes la fréquentation de ces éléments est généralement très bonne et économiquement positive, mais cela se fait au détriment des centre-villes qui ne peuvent que difficilement riposter.
Des tentatives pour contrer cette désertification
Les réactions des commerçants et des politiques existent et permettront sans doute d’infléchir la courbe de la désertification.
Plusieurs villes concernées se sont dotées de managers de centre-villes (Mulhouse, Brest). Cette fonction se veut être un réel lien entre les services publics, les usagers et les associations de commerçants (parfois multiples sur un même centre ville). Redynamiser un centre-ville ne se décrète pas, il se fait sur un temps long et c’est toute l’action de ces managers ou médiateurs que d’animer le commerce pour ainsi co-construire les centres villes de demain.
Ces médiateurs peuvent jouer un rôle sur l’accessibilité des commerces de centre-ville comme être un lien entre les commerçants et les réseaux de transports en commun. Parfois, les commerçants pensent que leur baisse de fréquentation vient des difficultés d’accès en voiture jusqu’au pas de porte de leur enseigne. Des campagnes de protestation peuvent même naître ici ou là pour demander de revoir la tarification du stationnement ou l’augmentation du nombre de places.
Or, cette protestation omet l’utilisation des transports en commun qui doit être favorisée tant par les commerçants que par les acteurs publics. Ainsi, privilégier la promotion ou la subvention de tarifications de transport pour les usagers des commerces semble être plus bénéfique qu’une augmentation du nombre de places ou la gratuité du stationnement favorisant l’usage de la voiture en centre ville pour les riverains et non pour les consommateurs.
Voir des rues commerçantes avec des locaux commerciaux vides doit permettre également de réfléchir à une fiscalité différente pour les propriétaires de ces espaces. Être propriétaire d’un local commercial, c’est être un acteur de l’attractivité de son quartier, tant sur le plan commercial que sur sa vitalité et son taux d’occupation de logements. Les propriétaires doivent, par conséquent, être proactifs dans la volonté d’offrir une réelle offre de locaux commerciaux décents ou d’effectuer les travaux qui peuvent le permettre. Laisser à l’abandon un local commercial, c’est s’assurer de la non-reprise d’un bail dans ses murs et pénaliser l’ensemble d’un quartier voire d’un centre ville en plus d’être économiquement non-rentable.
A Saint-Brieuc, une taxe a vu le jour sur les locaux commerciaux inutilisés ; forme d’amende aux propriétaires négligents qui pénalise la vitalité commerçante urbaine. A Brest, dans le cadre de projet de rénovation urbaine, pour les propriétaires mettant en conformité leurs locaux commerciaux via des travaux de rénovation, la métropole s’engage à payer les loyers des surfaces commerciales puis de sous-louer le local à un commerçant. Cela ajoute une sécurité face aux impayés pour les propriétaires, renouvelle l’offre de locaux conformes et décents pour les commerçants et facilite l’accès au locaux commerciaux.
En ville, tisser du lien est important et résonne comme une évidence. Tant du lien entre les différentes populations suivant leur catégories socioprofessionnelles, leur âge ou encore la composition du foyer qu’entre les différentes activités : commerce, culture, services publics,… Cela ne doit pas se traduire par une externalisation des cinémas ou des piscines mais en une inclusion au cœur des centre-villes, voire au cœur des quartiers de villes prioritaires de ces éléments culturels.
Être en mesure de dire non aux projets culturels dans les zones commerciales relève tant du courage que de la cohérence pour les politiques urbaines. Parce que ces choix ne sont pas toujours compris, notamment face aux arguments populistes des promoteurs, un effort de communication de ces choix politiques doit s’imposer.
La désertification se poursuit mais face aux initiatives prises ici ou là, la volonté de l’inverser est également présente. Encore faut il convaincre le dernier maillon de cette équation complexe : faire changer ses habitudes aux consommateurs… un défi long et délicat !