Le mercredi 19 Juillet 2017 restera une date importante dans l’histoire des liens entre le monde politique et le monde militaire en France.
Depuis 19611, ces liens habituellement discrets n’avaient pas connu pareille crise publique ni médiatique. Ce qui se vit aujourd’hui avec la démission du Chef d’Etat Major des Armées (CEMA), le 5 étoiles Général d’armée Pierre De Villiers est donc d’une extrême rareté et gravité.
Très apprécié par l’ensemble des militaires qu’il avait sous son commandement, reconduit à son poste de manière exceptionnelle par le Président de la République le 1er Juillet dernier, le général De Villers s’est vu imposé une humiliation publique par le Président de la République concernant l’annonce d’une coupe de 850 millions d’euros pour le budget de la Défense. Bien qu’officiellement le budget de la Défense restera de 32 milliards d’euros, il s’agit de ne pas couvrir le dépassement du budget induit par les opérations extérieures (OpEx – soit 850 millions) – dépassement habituellement couvert unanimement par un effort interministériel et sanctuarisant le budget de la Défense.
Emmanuel Macron s’est donc exprimé devant l’ensemble des cadres du ministère de la Défense en rappelant qu’il n’acceptait pas la critique de sa méthode et de ses idées de la part des militaires. Au delà de la légitimité de cette loyauté obligatoire imposée à tous les militaires, c’est une réelle crise de confiance qui s’initie lorsque l’écho médiatique est amplifié par une prise de parole du Président de la République. Cette confiance mutuelle est pourtant nécessaire au bon déroulement de l’ensemble des missions du ministère de la Défense.
Après tout, le Général De Villiers n’a pas fauté. Dans un débat parlementaire de la commission de la Défense qui se tenait à huis-clos, il a effectivement alerté que la baisse du budget était inquiétante pour la défense du pays et de l’ensemble des français. C’est donc, sans objectif de critique publique du chef de l’état qu’il a pris position, en toute responsabilité. Rappelons que le CEMA n’agit pas sur une base politique ou idéologique mais en professionnel expérimenté de la défense nationale.
Le programme présidentiel du président Macron2 prévoyait, entre autres, de porter l’effort de la défense à 2% du PIB (soit un effort de 2 milliards d’euros par an d’ici 2022 pour tenir l’objectif 3) ou encore la mise en place d’une nouvelle forme de service militaire obligatoire. Ces mesures nécessitent donc, par définition, une augmentation du budget et non des fortes baisses.
Depuis 2012, le ministère de la Défense connaît des engagements militaires intenses et coûteux : Engagement dans l’opération Barkhane au Mali (« journée la plus importante de ma vie politique » avait déclaré le président Hollande), maintien et renforcement de l’opération Sentinelles compte tenu du risque terroriste accru, effort démultiplié des capacités de renseignement extérieur et militaire (DGSE et DRM), augmentation des effectifs de réservistes,… la liste est longue. Toutes ces mesures ne sont réalisables qu’en donnant aux militaires et à son chef d’état major les moyens nécessaires à leur réalisation.
Les livres blancs successifs expriment le besoin de moyens conséquents, de plans de renouvellement des équipements mais surtout du renforcement du lien Armée – Nation. Le Président de la République devra justifier comment il entend maintenir à la fois un niveau de confiance entre les militaires et l’autorité du chef des armées (rôle du Président de la République) mais également un niveau de crédibilité dans ses intentions de redonner du lien entre les citoyens et leurs protecteurs : les militaires.
La situation géopolitique du monde ne se décide pas et s’anticipe difficilement. Comment est-il encore possible d’imaginer de fonctionner à budget fixe pour les opérations extérieures décidées, bien souvent face à des menaces (attaques, oppression de peuples ou de pays, …) indépendamment de la logique financière. Le ministre du budget doit donc prévoir des crédits supplémentaires hors budget pour les opérations extérieures; garantissant ainsi un niveau de protection digne pour les français mais aussi le respect des valeurs françaises sur le plan international, bien souvent saluées.
Le porte parole du gouvernement expliquait pourtant sur RMC le 13 juillet que le budget augmenterait fortement durant le quinquennat. En le contraignant à un effort de 850 millions, l’effort pour l’augmenter “fortement” sera donc d’autant plus colossal – reste à savoir sur le(s) budget(s) de quel(s) ministère(s) il faudra comptabiliser prochainement des coupes monumentales pour financer cette hypothétique forte hausse pour la Défense.
Au final, on retiendra que le respectueux Général De Villiers aura été sanctionné et humilié pour avoir donné son avis de professionnel aux parlementaires français. Le parlement français n’a-t-il pas le droit d’être éclairé sans idéologie par des professionnels non politique ?
1 Avril 1961, en pleine guerre d’Algérie et donc sans comparaison de fond avec aujourd’hui, se joue la crise dite du « Putsh des généraux » qui constitue un événement fort et publique entre le monde militaire et la politique française.
2 : Propositions du candidat Emmanuel Macron (lien visité le 19/07/17) https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/defense
3 : Dans une conférence de presse le 13 Juin 2017, Jean-Pierre RAFFARIN et Daniel REINER, sénateurs, auteurs du rapport d’information « 2 % du PIB : les moyens de la défense nationale » affirment qu’il faut ajouter 2 milliards d’euros au budget annuel du ministère de la Défense. Cela signifie donc que le budget de la défense serait, en 2018 de 35,5 milliards d’euros, 37,5 milliards en 2019 et 39,5 milliards en 2020 (Lien visité le 19/07/17) http://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201706/2_du_pib_pour_la_defense.html