La « Sobriété Numérique » : passer d’un oxymore à un levier au service des transitions

Le 19 Décembre 2019, le Conseil Départemental du Finistère a adopté un rapport d’engagement « Le Finistère s’engage : Mobilisés pour répondre aux défis environnementaux« . L’intégralité de ce rapport est accessible ici.

Dans ce rapport, la question de la « Sobriété numérique » est abordée. Retrouvez ci-dessous mon intervention sur ce sujet :

 » Madame la Présidente, Cher.e.s collègues, 

Depuis plusieurs décennies, le numérique prend de plus en plus de place dans notre société et dans notre quotidien. Que nous l’ayons souhaité ou non, son omniprésence bouleverse tant les relations avec les administrations qu’entre les individus faisant société. L’accès aux services publics telles que les administrations centrales, l’accès aux savoirs et à la connaissance et bien d’autres thématiques de la vie quotidienne ne peuvent s’entendre sans l’usage du numérique. 

Pour autant, pour permettre ces usages de plus en plus fréquents, des infrastructures et des équipements tels que les Data Centers doivent répondent à cette consommation de numérique en gardant une nécessaire scalabilité pour gérer les pics d’utilisation tout en garantissant et en améliorant une rapidité d’accès à l’information.  

Aussi, pour accéder au numérique, les équipements individuels sont de plus nombreux – les taux d’équipements des ménages et des habitants ne cessent de grimper avec des disparités fortes aux quatre coins de la planète. Un américain dispose en moyenne de 10 équipements numériques et consomme 140 Gigaoctets de données par mois alors qu’un indien dispose d’un 1 équipement numérique et consomme 70 fois moins de données qu’un américain. L’impact est différent mais, mis à l’échelle mondiale, il est conséquent pour l’environnement.  

Néanmoins, tant les consommations énergétiques des centres informatiques que la fabrication de ces nombreux équipements individuels ont un impact sur l’environnement soit dans les émissions polluantes soit dans une surconsommation de ressources naturelles. 

En effet, en 2019,  le numérique représente près de 4 milliards d’utilisateurs sur 34 milliards d’équipements numériques correspondant à environ 4% des émissions de gazs à effet de serre et plus de 5% de la consommation électrique. Pour illustrer le poids du numérique actuel, il suffit de considérer l’existence d’un 7ème continent d’une taille comprise entre 2 et 5 fois la France.  Ce constat est sévère vis-à-vis du numérique actuel et en le considérant de manière isolée, la tentation de vouloir tendre à la suppression du numérique pourrait être forte.  

En revanche, notre responsabilité collective est de réussir toutes les transitions qui s’imposent à nous. Leur accompagnement ne peut se faire en les opposant les unes aux autres. Face à l’actuel impact environnemental du numérique, le principe de “sobriété numérique” doit permettre de poursuivre la transition numérique en réduisant la surconsommation d’équipements individuels et en limitant les consommations énergétiques des Data Centers. C’est donc ce principe d’un numérique sobre que nous inscrivons dans les ambitions de la collectivité finistérienne avec ce rapport d’engagement.  

Via des travaux fins sur les usages du numérique au sein de notre collectivité mais également auprès des finistériens, nous souhaitons pouvoir poursuivre le déploiement du numérique de manière responsable.  

Cette sobriété numérique que nous souhaitons inscrire comme principe d’action dans l’ensemble de notre politique devra se traduire par des actions collectives mais également toucher la responsabilité individuelle de tout à chacun. Cela sera d’autant plus complexe que lorsque l’on utilise le numérique il est impossible aujourd’hui de voir concrètement l’impact direct dans les “Data Centers” et indirect pour l’environnement – notre effort de sensibilisation sera alors d’autant plus pertinent.  

Les choix des usagers tout comme les choix collectifs des entreprises ou institutions publiques doivent considérer cette nécessité de sobriété et tendre vers le “juste nécessaire” vis-à-vis des besoins et des usages.  En plus de l’absurdité de certains objets connectés, c’est bien leurs nécessités qui doivent être parfois réinterrogées : pourquoi vouloir disposer de réfrigérateurs connectés, des fourchettes connectées ou des miroirs connectés ? Les consommations énergétiques nécessaires au fonctionnement de ces objets basiques ont nécessairement un rapport utilité/impact aussi insignifiant que leurs utilités. 

Pourtant, l’usage du numérique est également un atout considérable dans la transition environnementale. La diffusion de l’information et l’accès à la connaissance permettent de présenter des alternatives dans nos consommations individuelles ou nos achats. C’est donc cette force de diffusion via le numérique qui doit réussir à sensibiliser les citoyens sur leurs usages.  

L’instrumentation via des capteurs de certains bâtiments permet de collecter des données nécessaires à la prise en compte des consommations énergétiques, sensibilisant par la même occasion aux nécessaires usages responsables.  C’est donc via ce fonctionnement vertueux que nous devons nous inscrire en faisant du numérique ni une contrainte ni un gouffre énergétique mais bien un levier d’information, de sensibilisation et de mesure pour consommer moins de ressources en parallèle de nos politiques d’inclusion numérique et d’aménagement numérique du territoire. 

Si la sauvegarde des ressources naturelles était aussi évidente pour tous que la sauvegarde de l’ensemble des e-mails stockés en masse dans les messageries personnelles, nous aurions franchi une étape considérable. Face aux souhaits de vouloir sauvegarder toujours plus de données, il est nécessaire de considérer d’abord la nécessité de ne conserver que ce qui est réellement utile. Comme pour la réussite de la transition environnementale, c’est bien en agissant sur les habitudes voire les réflexes individuels et collectifs dans nos usages que nous devons prioriser notre effort de changement.   

Ainsi dès 2020, notre collectivité travaillera sur cette logique de “sobriété numérique” en allant vers des usages justes et nécessaires du nombre d’équipements numériques durables avec le niveau de puissance adapté.  

Les travaux sur l’ouverture des données via l’OpenData doivent aussi être vus comme un élément d’une économie du partage. Car en mettant à disposition des données publiques sur la plateforme OpenData29, ces données sont accessibles à toutes et tous évitant alors qu’elles soient produites à l’identique dans d’autres collectivités. De plus, en proposant aux collectivités finistériennes de plus de 3500 habitants de déposer leurs données sur notre plateforme finistérienne – permettant ainsi de répondre à leur obligation légale – nous réduisons le nombre de plateformes stockant ces données et ainsi nous réduisons d’autant les surconsommations énergétiques inutiles qui existeraient avec ces doublons. 

Enfin dans l’approche globale du numérique que nous menons au sein de cette collectivité étroitement liée à la transversalité du numérique dans nos politiques, notre ambition est de faire du numérique un outil de réduction des inégalités mais bien entendu un outil d’accélération de la transition environnementale.  Cette ambition présentée dans ce rapport d’engagement aura donc des déclinaisons concrètes en études et en plans d’action opérationnels dès 2020 et sera également présente dans nos travaux de co-construction du Schéma Départemental des Usages du Numérique qui débuteront dans quelques semaines.  

Si le numérique tend dans les prochaines années à éviter l’accentuation d’un monde de plus en plus virtuel et digital au profit d’une priorisation du réel et à la considération des ressources naturelles, alors c’est dans cette logique vertueuse que nous devons nous inscrire – agissant alors concrètement et efficacement en faveur des transitions environnementales et numérique. Il en va de notre responsabilité d’élus, de citoyens et tout simplement d’humains. «