Le grave incident qui s’est produit ces derniers jours dans l’usine de méthanisation de Châteaulin (29) entraînant une pollution significative de l’Aulne et de l’eau portable de près de 200 000 finistériens appelle à la vigilance de tous les acteurs en responsabilité.
Bien que potabilité de l’eau du robinet ne soit pas encore totalement rétablie, la situation sanitaire est en voie d’être résolue via l’écoulement et la dilution naturels par les bassins versants. La Nature, une nouvelle fois victime d’une pollution, est également celle qui va permettre un retour sain des milieux dans lesquels transitent l’eau depuis les Monts d’Arrée – château d’eau du Finistère – jusqu’aux robinets. Mais à quel prix pour l’environnement ?
L’impact de cette pollution sera probablement visible durant des jours et en plus de marquer les esprits marquera fortement la biodiversité locale.
Cet incident doit être une alerte qui rappelle à tous la criticité voire la dangerosité des structures de méthanisation.
Les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE)
L’implantation et la gestion de ces structures relèvent des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) qui nécessitent des études administratives et opérationnelles strictes. Ces ICPE peut être classées sous plusieurs régimes dont notamment le régime d’enregistrement (critères réduits de risque sur l’environnement) ou d’autorisation (critères élevés vis-à-vis du risque environnemental).
En Juin 2019 déjà, j’interpellais publiquement la Préfecture du Finistère sur le projet de “Ferme-usine” voyant la construction d’un nouveau méthaniseur sur la commune de Commana, au cœur des Monts d’Arrée et à proximité immédiate du lac du Drennec. En effet, sans les mobilisations citoyennes, associatives et d’élus, ce projet aurait été instruit sous le régime d’un simple “enregistrement” au titre des ICPE et donc avec des études réduites sur les risques environnementaux associés. Grace à ces mobilisations, ce projet est désormais soumis au régime des ”autorisations” au titre des ICPE et doit faire l’objet d’études d’impact environnementales plus abouties que les documents jusqu’à présent produits.
Pour rappel également, en Juin 2019 le méthaniseur de Plouvorn (29) était victime d’un incendie causant l’explosion d’une cuve du méthaniseur. Ces rappels additionnés aux nouveaux projets aux études légères viennent avec l’incident de Châteaulin confirmer les risques environnementaux de ces structures. Un classement systématique au régime des “autorisations” des ICPE me semble être une première étape pour sécuriser de manière concrète et opérationnelle ces installations.
Cependant, ces régimes de classement d’ICPE voient l’évaluation des projets suivants plusieurs critères abordés de manière individuelle. Le projet de Commana a démontré les limites dans l’instruction des évaluations basée sur des critères isolés en frôlant les seuils de la nomenclature des ICPE. Par exemple : La nomenclature des ICPE prévoit un simple classement au régime des “enregistrements” si un élevage est inférieur à 400 bovins et au régime des “autorisations” s’il dépasse les 400 bovins. Astucieusement, le projet de Commana avait une capacité prévisionnelle de précisément 400 bovins maximums, évitant ainsi le régime des “autorisations”. Certes les critères sont respectés mais sont aux limites pour nombre d’entre eux. Il apparaitrait plus pertinent d’avoir une approche globale de l’évaluation de ces critères permettant de pondérer les risques et considérer le caractère cumulatif de ces derniers. Un projet qui effleure les limites pour la majorité des critères est sans doute tout aussi critique d’un projet qui dépasse un seul critère.
Les résultats de l’enquête seront précieux
Les conclusions de l’incident de Châteaulin seront précieuses pour déterminer les circonstances exactes de l’incident et les défauts soit dans l’instruction et le suivi de l’ICPE soit dans la sûreté opérationnelle de la structure.
Les méthaniseurs doivent en effet prévoir une gestion de risque lié au stockage et à la production de gaz mais aussi de débordement ou de perte d’étanchéité des cuves de stockage des matières. Concernant les risques de débordement des cuves de méthanisation plusieurs dispositifs physiques doivent être mis en place comme la prévision d’un bassin de sécurité d’une capacité au moins égale à la plus grosse des cuves de méthanisation – faisant office de tampon en cas de débordement – mais aussi d’un bassin de rétention des eaux pluviales et de ruissèlement des eaux d’extinction d’incendie en cas de sinistre majeur sur le site. De plus, le compactage du sol visant à réduire l’infiltration des matières dans le sol en cas de pollution mais aussi un talutage périmétrique permettant de contenir physiquement les effluents polluants en cas de débordement sont prévus par la réglementation. Les éclaircissements de l’enquête sur l’incident permettront – je l’espère – de justifier les raisons pour lesquelles ces dispositifs physiques règlementaires n’ont pas permis d’éviter cette pollution.
Les méthaniseurs : une éventuelle solution si l’on garde la raison
Bien que présentant des risques environnementaux parfois sévères et malgré leur particulière criticité, les méthaniseurs peuvent être une solution écologique à condition qu’ils soient particulièrement sécurisés et aux impacts locaux étudiés de manière approfondie. En effet, ces usines de biogaz peuvent être un maillon fort d’un cercle vertueux dans le domaine agricole et de retraitement des déchets qui, malheureusement, sont de plus en plus nombreux.
La collecte des matières agricoles issues des élevages centralisée auprès d’une structure locale de méthanisation permet aux exploitants agricoles de bénéficier d’un débouché pour le retraitement de leurs déchets. Cela leur permet souvent d’éviter une gestion individuelle sur leur exploitation de fosses à lisier qui nécessitent des entretiens et le respect de normes de plus en plus drastiques pour éviter des déversements dans les milieux naturels.
En travaillant sur une production raisonnée des déchets issus des élevages, l’éventuel cercle vertueux des méthaniseurs boucle également avec la production écologique de biogaz permettant la production d’énergie et de digestats qui sont utilisables comme fertilisants naturels. Ce débouché des digestats mérite néanmoins une attention particulière pour que les plans d’épandage soient suffisamment dimensionnés et qu’ils n’entrainent pas des impacts sur les bassins versants d’alimentation en eau potable ou de bassins conchylicoles. Les sols ne peuvent supporter un épandage trop fréquent, trop massif et sont dépendants des conditions climatiques. Ces épandages doivent donc être réalisés via de nombreux terrains spécifiquement étudiés dans leur capacité à absorber notamment l’azote sans risquer de polluer les sols par des surconcentrations.
Enfin, la solution de méthanisation avec un cercle vertueux de production énergétique ne pourra être considérée comme une solution de progrès et d’avenir qu’à la condition qu’aucun maillon de la chaîne n’est artificiellement créé ou alimenté. Produire des cultures spécifiques pour alimenter les méthaniseurs ou permettre l’épandage des digestats mais aussi accroitre les volumes de production des élevages pour garantir une productivité suffisante des méthaniseurs, cela frôle l’hérésie et annihile alors tout bénéfice environnemental. Une nouvelle fois, cette solution ne peut qu’être complémentaire d’une agriculture locale raisonnée et rationnelle où l’optimisation permanente de rentabilité ne doit jamais primer sur le respect vital de l’environnement.
Un renforcement administratif et opérationnel dans l’instruction des projets de création des méthaniseurs additionné à une meilleure approche des risques environnementaux apparaissent donc indispensables pour que le cercle vertueux que pourrait représenter les usines de méthanisation ne se transforme pas en cercle vicieux et nocif pour l’environnement.